Un beau jour de printemps 2018, j’aperçus au loin, dans un beau jardin parisien, un ami pratiquant d’art martial que je n’avais pas vu depuis longtemps.

J’étais si heureuse que je m’approchai de lui avec joie puis, ralentis fortement. 

Je me souvins de son souci d’être en entrainement permanent, de profiter de chaque seconde pour éveiller ses sens, être présent, réactif et adaptable.

Joueuse, je décidai de tenter d’approcher sans qu’il ne s’en rende compte.

Cela me semblait impossible, tant son niveau était élevé.

 

Je suivi les conseils prodigués par mon enseignant : je  marchai lentement, lentement, mais pas trop par rapport aux déplacements des personnes environnantes.

Je cherchais à atteindre l’invisibilité.

Ne pas monter et descendre sur mes pas. 

Ne pas me balancer de droite à gauche.

Une ligne droite, lente, douce, imperceptible.

Pas de gestes brusques.

Tout fluide.

 

Et oh surprise, je parvins à sa hauteur, lui faisant face, à 2 mètres.

De là, n’y tenant plus, je lui fis un grand signe de la main, toujours un peu lent.

Il ne me voyait toujours pas ! 

 

J’arborai alors un grand sourire et, dodelinant de la tête pour attirer son attention, je le nommai par son prénom.

Nous nous embrassâmes, échangeâmes quelques nouvelles, puis, je lui demandai où était passée sa vigilance.

Il m'expliqua que son « système d’information" ne m’avait simplement pas captée "parce qu’il ne m’avait pas identifiée comme une menace ».

 

Cette réponse me surpris. 

Je n’avais pas perçu cet art martial comme devant filtrer le réel pour ne plus percevoir que les menaces, mais bien de tout percevoir, intensément, précisément, pour, bien sûr, identifier de loin les menaces, mais aussi et surtout, bien vivre, profiter de la présence des amis*.

 

Alors je me suis souvenue de cette histoire que nous racontait un des instructeurs.

Il avait retrouvé un vieil ami, pas vu depuis 15 ans.

Un très bon ami, vraiment, avec lequel il avait pratiqué les arts martiaux.

Lui demandant ce qu’il devenait, s’enquérant de sa progression, il lui fit remarquer qu’il devait être très fort désormais.

C’est bien ce que lui confirma son compère, mais avec un air d’une infinie tristesse.

 

« Oui, tu as raison, je suis devenu très fort.

Tu vois, avec mes mains, je peux tout faire maintenant.  

Toutes les techniques d’endurcissement des mains, chemise de fer, dont nous rêvions. Toutes ces techniques mythiques qui nous semblaient inaccessibles, je les ai acquises, pour la plupart ». 

« Mais pourquoi as-tu l’air si triste alors lorsque tu en parles ? »

« Tu vois, j’ai un petit garçon maintenant. Il a trois ans.

Mais quand sa main est dans la mienne, tellement entraînée,

je ne la sens pas ».

 

Tout entrainement est une mise en forme.

Il ouvre à la liberté, et aussi à une forme d’être au monde.

Choisissons-le bien, efficace et permettant de vivre pleinement.

Orientons-le bien, en fonction de nos aspirations.

 

 

 

* nous pourrions aussi considérer qu’il m’avait bien vue arriver de loin, et  n’avait tout bonnement pas envie de me parler ! il aurait ensuite justifié son attitude par une quelconque explication, pour ne pas être indélicat... qui saura ?... 

 

 

 

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